Vol de nuit destination San Francisco pour courser la lune à travers l'Amérique, j'ai pas pris l'avion depuis des années, à dix mille mètres d'altitude on atteindra la tropopause, la grande bande d'air immobile, jamais je ne serais plus prêt de l'ozone, j'ai rêvé qu'on y allait, et l'avion crevait la tropopause, quittait l'air sain et touchait la couche externe, l'ozone qui était tout usée, râpée jusqu'à la corne, comme un hayon, ce qui était plutôt effrayant, mais c'est là que j'ai vu une chose que moi seule, pouvais voir, grâce à mon étonnante clairvoyance, des âmes s'élevaient, depuis la terre, très loin en contre bas, il y avait les âmes de personnes mortes, de la famine, de la guerre ou de la peste, et elles surgissaient comme des parachutistes à reculons, jambes et bras en étoiles, tournoyant, virevoltant, et elles se donnaient la main et se tenaient les chevilles afin de former un grand maillage d'âmes entrelaçées, et ces âmes étaient des molécules à trois atomes d'oxygène tel l'ozone, la couche externe les absorba et fut réparée, car rien n'est perdu pour toujours, dans ce monde il y a une forme de progrès douloureux, à regret de ce qu'on laisse derrière soi, et un rêve d'avenir, en tout cas c'est ce que je crois.

Béryl Bermond