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This Life

**« Enivrez-vous » – Quand Baudelaire rencontre Reggiani**

Il y a des textes qui ne vieillissent pas. Qui, au fil des siècles, au lieu de s’étioler, prennent du poids, de l’âme, de la chair. *« Enivrez-vous »*, ce poème en prose de Charles Baudelaire, appartient à cette rare catégorie. Extrait du recueil **Le Spleen de Paris**, il résonne aujourd’hui avec une intensité troublante — et bouleversante, lorsqu’il passe par la voix rauque et pénétrante de **Serge Reggiani**.

Baudelaire ne parle pas ici d’ivresse vulgaire. Il ne célèbre ni l’oubli ni l’excès. Il évoque une urgence existentielle : celle de **rompre la tyrannie du temps**. Face à l’érosion lente des jours, face à la mort qui guette au détour de l’habitude, il invite à un élan vital. Il faut être ivre, dit-il, **de vin, de poésie ou de vertu** — peu importe le flacon, tant que le cœur s’élève.

La force de ce texte réside dans son ambiguïté. Est-ce une exhortation à la liberté ? Une prière athée ? Un chant d’amour désespéré ? Il est tout cela à la fois. *« Pour n’être pas les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous »* : c’est à la fois une injonction et une consolation. C’est la voix d’un homme lucide, qui sait que la beauté est fugace, mais qui croit encore en sa puissance.

Quand **Serge Reggiani** reprend ce texte, il ne le récite pas — il l’habite. Avec cette manière unique qu’il avait de dire les mots comme s’ils sortaient d’une plaie ou d’un souvenir, il donne à *« Enivrez-vous »* une dimension charnelle. Sa voix ne cherche pas à séduire. Elle ne joue pas. Elle **transmet une fatigue, une gravité, une vérité**.

Chez Reggiani, l’ivresse n’est pas joyeuse. Elle est grave, lucide, parfois même amère. Mais elle est nécessaire. L’acteur-chanteur, lui-même marqué par les blessures du siècle, trouve dans les mots de Baudelaire un refuge et une révolte. Il nous tend ce poème comme on tend un verre au bord de la nuit. Un dernier espoir. Une dernière lumière.

Il y a dans cette reprise une forme d’héritage. **L’héritage des poètes maudits**, celui des hommes qui refusent de se soumettre, qui préfèrent la brûlure du vers à l’oubli tranquille. C’est un appel à vivre debout, à ressentir intensément, à se soulever contre l’usure des jours. Une philosophie de l’instant, portée par la musique du verbe.

Aujourd’hui, *« Enivrez-vous »* demeure une boussole pour celles et ceux qui refusent l’anesthésie moderne. Qu’on l’écoute dans le silence d’une nuit ou au cœur du vacarme du monde, il garde sa puissance intacte. Et tant que des voix comme celle de Reggiani continueront à le murmurer, à le hurler, à le chanter, ce texte restera vivant.

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Ben Morgan

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