“Vendredi, je suis allé en cours. A Nanterre-Université. Et en sortant du RER, j'ai marché dans l'escalier et je me suis retrouvé dans une foule énorme. Tous ces gens, avançant dans le même sens, convergeaient vers la sortie de la station comme des moutons sortant de leurs parquages. Et j'ai été pris d'une envie de faire demi-tour. Pas pour retourner dans le RER et rentrer chez moi, ni même emmerder les gens qui montaient, mais pour être différent. Pour ne pas aller dans le même sens que tout le monde, pour ne pas faire parti de cette masse et être seul à marcher, dans ma direction, dans mes choix.
C'est un peu cette philosophie de vie qui m'a poussé à être un artiste, pour être affranchi de certaines obligations de pensée, de parcours, de vie, d'avancement. Je ne veux pas avancer comme tout le monde. Je ne veux pas marcher dans le même sens que les autres. Je veux trouver mon propre rythme, ma propre marche. Quand je veux courir, j'en ai marre que devant moi soient des gens qui marchent. Quand je veux marcher, je suis soulé de voir ceux qui me bousculent quand ils me doublent sans faire attention.
C'est comme quand je suis dans un ascenseur que je décide de me mettre en face des gens, plutôt que dans le même sens qu'eux. Je ne suis pas tout le monde. Car être tout le monde, c'est être n'importe qui.
Vendredi, je suis allé en cours. A Nanterre-Université. Et en sortant du RER, j'ai marché dans l'escalier et je me suis retrouvé dans une foule énorme. J'ai fait demi-tour, je suis retourné sur le quai.
Vendredi, je suis allé en cours. Avec cinq minutes de retard. Mais seul dans l'escalier, j'ai pu marcher à mon rythme, profiter de chaque marche, chaque brise de vent, chaque son. Et je ne regrette rien. 
J'étais seul. Unique. Spécial.”

Eva Fleck

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