Sélection Dastumedia

Eugène Gasnier fut probablement le sonneur d’accordéon le plus réputé du pays d’Ancenis dans l’entre-deux-guerres. Depuis le début du siècle, l’instrument se répand rapidement dans les campagnes de Haute-Bretagne  et fera bientôt disparaître les pratiques instrumentales antérieures, comme le violon et la clarinette qu’on voit sur la photo ci-contre, prise au début du siècle dans la commune de Varades. 
Eugène Gasnier joue ici un air d’avant-deux dit « de travers », qui est la danse emblématique de la région.

Eugène Gasnier, Saint-Herblon (44) - Accordéon diatonique – 1965 (coll. Docteur Tricoire)

Avant-deux de travers - Eugène Gasnier, Saint-Herblon (44)

Une quinzaine de chansons ont été enregistrées en 1986 par Goulc’hen Kervella auprès de cette bonne chanteuse de Plouguerneau. Cette chanson, qui évoque les regrets du futur marié devant le physique disgrâcieux de sa promise, a été publiée dans le CD Pays Pagan (collection La Bretagne des pays – n°1, édition Dastum / Dastum Bro Leon). Le pays Pagan se situe sur la côte nord du Finistère et est notamment connue pour sa « Dans Round », aussi appelée Rond Pagan. La chanson de « Rimimi mon frère » est ici chantée en solo lors d’une veillée, mais elle servait aussi à danser le rond, et était alors répondue.

Line Marney, Plouguerneau (29) – Chant – 1986 (coll. Goulc’hen Kervella)

Rimimi mon frère - Line Marney, Plouguerneau (29)

Le terme « bahotter » ou « bahouetter », très spécifique à une petite région de l’ouest de l’Ille-et-Vilaine, désigne une façon particulière de chanter de petits chants très courts, presque toujours sur le même air, et lors de circonstances bien précises : en labourant avec les chevaux, ou lors des travaux « d’émonderies ». Il s’agit d’une forme de chant de plein air, essentiellement masculin, et dans lequel les hommes placent la voix haut et tentent de la faire « sonner » le plus loin possible, en tenant la note le plus longtemps possible, de façon à se faire entendre au loin, et si possible à susciter la réponse d’un voisin. Pour en savoir plus sur le sujet, on peut se reporter au livret-CD Mille métiers, mille chansons, plage1.21 (Dastum, 2007)
L’enregistrement qu’on entend ici est représentatif d’une séance de collectage : les chants sont entrecoupés de questions et d’explications.

Pierre Duguen, Muel (35) – Chant – 1998 (coll. Régis Auffray et Alban Berthelot)

Bahotteries - Pierre Duguen, Mue (35)

Alain Le Noac’h, avec son compère Marc Lebris, fait partie de la première génération de collecteurs qui utilisent le magnétophone à bandes. Membre actif du Cercle celtique de Loudéac, il décide dès les années 1960 d’enquêter sur la tradition de danse locale et met à jour ce qu’on connaît aujourd’hui sous le terme de « suite de Loudéac », qui risquait alors de tomber dans l’oubli. Il enregistre quelques sonneurs, mais surtout de nombreux chanteurs de « ronde » parmi lesquels Félix Boscher, de Trévé, qui fut l’un de ses informateurs importants (on compte une vingtaine d’enregistrements dans les archives). Cet enregistrement fait en situation de collectage, sans danseurs et sans répondeurs, figurait déjà dans le disque du Cahier Dastum n°4 (1976).

Félix Boscher, Trévé (22) – Chant – 1966 (coll. Alain Le Noac’h)

J'ai fait une maîtresse oh gué - Félix Boscher, Trévé (22)

Manu Kerjean est né en 1913 au cœur du pays Fisel,  dans une famille de paysans passionnés de danse et de chant. Il cultive l’art du kan ha diskan et de la danse fisel tout jeune, dans l’entre deux-guerres, notamment avec son frère, puis prend part tout naturellement au renouveau de la fin des années 1950 et à la naissance du fest-noz moderne, notamment avec son compère Lomig Doniou. Il deviendra dans les années 1970 une référence incontournable pour toute la nouvelle génération désireuse d’apprendre l’art du kan ha diskan (Erik Marchand, Yan-Fanch Kéméner, Alain Le Clère, Annie Ebrel…) Un livret-CD lui a d’ailleurs été consacré en 2007 (Manu Kerjean – Chanteur du Centre-Bretagne, collection Grands Interprètes de Bretagnes, édition Dastum). 
Le kan ha diskan est une forme particulière du chant à répondre ou « chant alterné », spécifique au centre-ouest de la Bretagne, et dans laquelle les deux chanteurs « tuilent » (chantent ensemble) lors des fins de phrases, comme pour se passer le relai.

Manu Kerjean et Lomig Doniou, Bonen / Plounévez-Quintin (22) – Chant (kan ha diskan) – 1975 (coll. Pierre Guilleux)

Ar verjelenn

Le terme « gavotter » (on dit aussi « noter » en nord Ille-et-Vilaine) désigne en pays de Châteaubriant l’acte de mener la danse « à la goule ». Il s’agit pour l’essentiel d’une technique de chant en solo, mais le meneur de danse pouvait aussi accompagner son chant d’une percussion rudimentaire : son du sabot, pinces à feu, ou encore couteau contre une bouteille… Le chant est généralement constitué de petits refrains courts et souvent drôles, mais parfois aussi, comme c’est le cas ici, de simples onomatopées. Alors que les techniques de chant alterné concernent presque toujours des danses en rond ou en chaine, le gavottage est toujours utilisé pour les danses à figures (les avant-deux essentiellement) et les danses en couple.
Pierre Gauthier, né aux frontières de la Bretagne et de l’Anjou, est sans doute l’un des meilleurs gavotteurs à avoir été enregistrés. On doit ce document au docteur Tricoire, qui a effectué en pays de Châteaubriant une collecte importante dès les années 1960. On le voit sur la photo à droite, accompagné de Patrick Bardoul (au milieu) qui a lui aussi effectué une importante collecte dans les années 1980. Ces deux fonds cumulés représentent dans les archives sonores de Dastum plus de 3000 documents sonores, essentiellement sur le pays de Châteaubriant. Ils ont notamment nourri le livret-CD "Pays de Châteaubriant", de la collection de Dastum « La Bretagne des Pays », paru en 2017. 

Pierre Gauthier, Le Pin (44) – Chant (gavottage) – vers 1964 (coll. Docteur Tricoire)

Avant-deux gavotté - Pierre Gauthier, Le Pin (44)

Si les sonneurs traditionnels de biniou-bombarde recensés en pays bigouden sont extrêmement nombreux (plusieurs dizaines de sonneurs en activité entre 1880 et 1930), ceux qui ont pu être enregistrés sont beaucoup plus rares. Le pays bigouden est réputé pour le style caractéristique de ses sonneurs, au jeu ciselé et souvent virtuose. Louis Guéguen, né en 1892 dans une famille de sonneurs, à Plozévet, fait partie des plus anciens sonneurs de Bretagne dont nous soit parvenu un enregistrement. Le document, déjà publié dans le livret CD Pays bigouden – Sonneurs et chanteurs traditionnels (édition Dastum – 2006),  y est accompagné d’un portrait de ce sonneur. 
Si les archives inédites des nombreuses collectes des traditions orales effectuées pendant la seconde moitié du 20ème siècle contiennent de grandes richesses, ce sont surtout les enregistrements sur disque de la première moitié du siècle qui nous fournissent des enregistrements de sonneurs de couples traditionnels encore en pleine possession de leurs moyens. 
C’est l’occasion de souligner que, si la sauvegarde des archives sonores inédites constitue l’essentiel de l’activité de Dastum, les archives sonores « éditées », notamment les plus anciennes, constituent également un enjeu capital.

Louis Guéguen et Marcel Lebouc – Biniou-bombarde – 1925 (disque 80-tours, Pathé, n°8 3888)

Jabadao - Louis Guéguen et Marcel Lebouc (Cornouaille)

René Hénaff fait partie des rares pionniers des « collectes sonores » des années 1950. Né en 1927 à Pouldreuzic, il participe à la naissance du cercle celtique de Pouldreuzic au début des années 1950 et, sur les conseils de son beau-frère Loeiz Ropars, s’équipe en 1955 d’un magnétophone à bande. Il parcourt pendant trois ans les campagnes du pays bigouden et enregistre de nombreux chanteurs et conteurs du pays. Les archives sonores de Dastum conservent plus de 270 documents sonores de sa collecte. 
La chanson présentée ici, attestée dans différentes région de Basse-Bretagne, a été publiée dans le livret CD Pays bigouden (collection La Bretagne des Pays, Dastum, 2006) : elle évoque les différents animaux achetés au marché et récapitule leurs cris respectifs, en breton eveljust !

Mari Dréau, Penmarc’h (29) – Chant – 1956 (coll. René Hénaff)

A-benn dilun me yal d'ar foar

La région de Plénée-Jugon fait partie de celles où la tradition de violon a résisté suffisamment longtemps à la diffusion de l’accordéon pour que de bons sonneurs puissent encore être enregistrés lors de la grosse vague de collecte des années 1970-1980. Elie Guichard fait partie de ceux là. C’est même une des grandes figures en la matière : grand répertoire (Dastum conserve 70 documents sonores), jeu très représentatif et ancré dans la tradition locale (coup d’archet, efficacité pour la danse, jeu en doubles-cordes…), qualités de chanteur et d’animateur… 
Cet enregistrement figurait sur le disque 33-tours Violoneux traditionnels en Bretagne, publié dès 1979 par l’association La Bouèze, à l’initiative de son premier président Yves Defrance. Il s’agit de l’air qu’Elie avait l’habitude de jouer pour le moment solennel de l’entrée de la mariée dans l’église.

Élie Guichard, Trémeur (22) – 1978 (coll. Yves Defrance)

Marche de la mariée (violon) - Elie Guichard, Trémeur (22)

Mélanie Houëdry est sans aucun doute l’une des plus grandes mémoires chantées du pays de Fougères. Les archives sonores de Dastum contiennent plus de 120 documents sonores, des chansons pour l’essentiel. Au-delà de son répertoire impressionnant, elle était aussi une remarquable interprète, qui vivait pleinement ses chansons, n’hésitant pas d’ailleurs à s’arrêter au cours de sa chanson pour commenter celle-ci ! 
La chanson qu’on entend ici est un des joyaux du répertoire francophone, souvent recueillie par les folkloristes du 19ème siècle, mais très rarement enregistrée dans les collectes du 20ème siècle. 
Pierrick Cordonnier est depuis 35 ans l’un des acteurs majeurs de la collecte et de la transmission du patrimoine oral du pays de Fougères, d’abord au sein de l’association La Bouèze, puis de la Granjagoul, à Parcé.

Mélanie Houëdry, Saint-Ouen-des-Alleux (35) – Chant – 1982 (coll. Pierrick Cordonnier)

Réjouissez-vous prince Leouis - Mélanie Houëdry, Saint-Ouen-des-Alleux (35)

Loeiz Lebras, qu’on voit ici en photo, fait partie de ce qu’on pourrait appeler les « informateurs – collecteurs » : lui-même excellent chanteur, imprégné très tôt par ce qu’il a entendu autour de lui dans sa jeunesse, il fait aussi partie de cette génération des années 1970 qui a fait « tourner les magnétophones ».
Il enregistre ce document en 1969, dans le cadre d’un filaj (une veillée) à Languidic. L’excellent chanteur qu’on entend ici, Pierre Borgne, est tout-à-fait représentatif du pays vannetais, qui est le pays du chant à répondre par excellence ! On y fait répondre en effet, non seulement les chants de danse ou de marche, comme dans une grande partie de la Bretagne, mais aussi de grandes mélodies, longues, lentes, amples, et souvent difficiles à reprendre pour le non-initié. L’intérêt de ce document réside tout autant dans la qualité de la réponse de l’assistance et de l’ambiance générale que dans celle du meneur.

Pierre Borgne, Languidic (56) – Chant – 1969 (coll. Loeiz Lebras)

Alhùé en éurusted - Pierre Borgne, Languidic (56)

Si Dastum est surtout connu pour collecter, sauvegarder et transmettre le patrimoine oral et musical de la Bretagne (chants, contes, légendes, musique instrumentale), ses archives sonores regorgent aussi de centaines d’heures d’enregistrements de conversations, de récits de vie, de témoignages sur de nombreux aspects de la vie dans la société traditionnelle (les noces, les grands travaux, les divertissements, les guérisseurs, la sorcellerie…), autant de documents précieux pour leur contenu, mais aussi pour leur forme : ces enregistrements constituent ainsi un véritable conservatoire des langues de Bretagne, le breton et le gallo, et de leur multiples nuances, portées par des milliers de locuteurs, dont plusieurs centaines nées avant 1900 !
Le document qu’on entend ici évoque les fameux « Johnnies », ces jeunes léonards qui passaient plusieurs mois par an à parcourir le sud de l’Angleterre à pieds, puis à vélo, pour vendre la production d’oignons de la région de Roscoff. (Voir à ce sujet le livre-CD Mille chansons, mille métiers, Dastum, 2007, plage 1.07).

Joseph et Marie-Louise Tanguy, Roscoff (29) – 2002 (coll. Vonig Fraval)

20 pakad ognon war ar velo - Joseph et Marie-Louise Tanguy, Roscoff (29)

Dans les années 1980, l’association Chom’te effectue un remarquable travail de terrain dans toute la région de Ploërmel, collectant, allant à la rencontre des porteurs de mémoire, et organisant surtout de multiples rencontres, veillées chantées, et surtout les fameuses « Assembiés du peï de Piermè » qui permettront de révéler au public local la richesse du patrimoine oral de leurs propres aînés. L’association constituera ainsi en une dizaine d’années un riche fonds sonore d’une centaine de bandes magnétiques, qui nourrira largement l’un des livres-CD de la collection  La Bretagne des pays  : Pays de Ploërmel – Chanteurs, sonneurs et conteurs traditionnels (Dastum, 2016).
On entend ici Victor Leblanc mener une ridée, danse en rond qui était traditionnellement menée le plus souvent par du chant à répondre, meneur et répondeurs étant bien sûr tous danseurs en même temps ! Le pays de Ploërmel est l’une des régions de Bretagne où la pratique de la ronde chantée (notamment ridée et pilée menue) s’est maintenue le plus longtemps, au moins jusque dans les années 1980 dans certaines familles.

Victor Leblanc, Saint-Servant-sur-Oust (56) – Chant – vers 1980 (coll. Chom’te)

P'tite amoureuse - Victor Leblanc, Saint-Servant-sur-Oust (56)

Les concours ont joué un rôle majeur depuis des décennies dans la sauvegarde du patrimoine oral et musical en Bretagne. Parmi ces concours très nombreux, celui de la Bogue d’Or, créé en 1975 à Redon par le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, a joué et joue encore un rôle essentiel dans le renouveau du chant traditionnel en Haute-Bretagne. D’abord basé sur les collectages fait en pays de Redon, notamment par Albert Poulain, Albert Noblet (Cercle celtique de Redon), Jean-Bernard Vighetti, Gilbert Hervieux, et d’autres, son influence s’est élargie ensuite à l’ensemble de la Haute-Bretagne, rassemblant toujours à la fois les porteurs de tradition et les nouvelles générations. Chaque année, une quinzaine de veillées locales servent de « sélections » pour la finale qui a lieu le quatrième dimanche d’octobre. 
On entend ici Jeannette Maquignon, excellente chanteuse qui a marqué de sa personnalité le renouveau du chant traditionnel en pays de Redon, et plus largement en Haute-Bretagne. C’est à elle qu’a été consacré le premier volume de la collection de CD Grands Interprètes de Bretagne : Jeannette Maquignon – Chanteuse du pays de Redon (Dastum / GCBPV, 2005). On trouvera également un portrait d’elle par Albert Poulain dans ses Carnets de route, p.277 (Dastum / PUR, 2011).

Jeannette Maquignon de Saint-Martin-sur-Oust (56), au concours de la Bogue d’Or (Redon - 35) – 1980 (coll. Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine)

Ma maîtresse est bien loin d’ici - Jeannette Maquignon, Saint-Martin-sur-Oust (56)

Pierre Repessé, né vers 1915, fut l’un des derniers joueurs d’accordéon diatonique du pays de Rennes à avoir conservé un important répertoire de danses anciennes (avant-deux, moulinet, aéroplane…), et surtout à l’avoir entretenu, pratiqué. Il tenait ce répertoire de son père qui, comme lui, avait mené de nombreuses noces dans le pays.
Pierre Repessé a aussi été l’un des premiers sonneurs d’accordéon diatonique au répertoire et au style aussi intéressants rencontrés par les jeunes collecteurs de l’association La Bouèze, notamment Pierrick Cordonnier, au début des années 1980. C’est à partir de ce type de collectes que l’association a pu contribuer fortement, dans les années 1980, à la relance de la pratique de cet instrument, mais surtout plus largement à la mise en valeur des traditions orales des pays de Rennes et de Fougères.

Pierre Repessé, Ercé-près-Liffré (35) – Accordéon diatonique – vers 1980 (coll. Pierrick Cordonnier)

Aéroplane (accordéon diatonique)- Pierre Repessé, Ercé-près-Liffré (35)

Le pays de Retz est un de ceux où la pratique populaire du violon s’est maintenue le plus longtemps. Dans les années 1930, à la suite de son père, Louis Rousseau anime de nombreuses noces au violon, à une époque où l’instrument a déjà été remplacé par l’accordéon diatonique dans de nombreuses régions. 
Comme beaucoup de sonneurs traditionnels, il cesse son activité après la seconde guerre mondiale, avant de ressortir son violon sur la sollicitation du groupe folklorique local dans les années 1960. De nombreux collecteurs viendront l’enregistrer dans les années 1970 : Christian Lillo, Raphaël Garcia, Jacques Chauvet, mais aussi John Wright, qui aura une influence majeure dans toute la France sur le renouveau de la pratique du violon dans la musique traditionnelle et folk du dernier quart du 20ème siècle. On recense dans les archives sonores de Dastum plus de 250 enregistrements de Louis Rousseau.

Louis Rousseau, Saint-Hilaire-de-Chaléons (44) – Violon – 1976 (coll. John Wright)

Dans le lac de Grandlieu (maraîchine) - Louis Rousseau, Saint-Hilaire-de-Chaléons (44)

La netteté des différences dans l’implantation géographique des instruments dans les traditions populaires est parfois surprenante. Ainsi, la vielle à roue fut longtemps l’instrument roi dans une grande partie des Côtes-d’Armor gallèses, surtout dans le pays de Saint-Brieuc, alors qu’elle était complètement inconnue dans l’immense majorité du reste de la Bretagne. On doit au « Collectif Vielle en Bretagne » l’essentiel des recherches et des collectes effectués sur le sujet dans les années 1980. Grâce à son action, les derniers sonneurs de tradition sont enregistrés in extremis (une trentaine en tout), et un riche fonds iconographique est constitué. C’est pourtant à un autre collecteur qu’on doit ce document enregistré en situation de danse, Marcel Colleu, qui effectue ses premiers enregistrements dans la région du Gouray dès la fin des années 1960. 
Victor Gautier est l’une des figures majeures parmi les vielleux enregistrés. Né en 1921, il mène sa première noce en 1939 est sera l’un des rares à maintenir une pratique régulière jusqu’au début des années 1990. Il sonne ici l’une des danses caractéristiques de la région de Plaintel, le « tour sus l’dret ».

Victor Gautier, Saint-Julien (22) – Vielle à roue – 1976 (coll. Marcel Colleu)

J'ai grand peur de le perdre (ronde)- Victor Gauthier, Saint-Julien (22)

Jean Rivalant est né en 1923 dans une famille de paludiers. Il exercera lui-même ce métier toute sa vie, tout en cultivant sa réputation de bon chanteur. Jusque dans les années 1950, les ronds et bals dits « paludiers » font encore partie de la pratique communautaire locale, et Jean Rivalant est reconnu comme l’un des meilleurs meneurs de chants à danser. Les enregistrements effectués auprès de lui par différents collecteurs entre 1974 et 1994 nous permettent de conserver aujourd’hui une quarantaine de documents sonores. 
La chanson qu’on entend ici servait à danser le rond paludier. C’est l’une des innombrables versions du fameux « prisonnier de Nantes », bien connue dans toute la francophonie sur de multiples airs (à elles seules, les archives sonores de Dastum en contiennent plus de 70 versions).

Jean Rivalant, Batz-sur-Mer (44) – Chant – 1994 (coll. Roland Guillou et Robert Bouthillier)

Dans les prisons de Nantes - Jean Rivalant, Batz-sur-Mer (44)

Voici un document véritablement historique. Ce chant est tiré des enregistrements sur rouleaux de cire effectués par François Vallée en 1900. Il s’agit des enregistrements de chants traditionnels en Bretagne les plus anciens connus à ce jour. Marc’harit Fulup (1838-1909) était un véritable « phénomène » de la tradition orale : on parle de 300 à 400 chansons, sans parler des contes ! Elle fut l’une des grandes informatrices de François-Marie Luzel et d’Anatole Le Braz et constitue un véritable trait d’union entre la grande époque des folkloristes du 19ème siècle et celle des collectes du 20ème siècle, révolutionnées par la technologie et la possibilité d’enregistrer le son.
On l’entend ici chanter une version des fameuses « Gousperou ar raned », chanson énigmatique basée sur une énumération – récapitulation, et sur laquelle de multiples interprétations ont circulé (voir l’étude de Jean-Jacques Boidron : « Gousperoù ar raned » ha gourspered « Ar Rannoù » - Enquête sur un chant traditionnel breton, Dastum, 1993).

Marc’harit Fulup, Pluzunet (22) – 1900 (coll. François Vallée)

Gousperou ar raned - March'arit Fulup, Puzunet (22)

Née en 1902 dans la même commune que Marc’harit Fulup, soit deux ans après les fameux enregistrements sur rouleaux de cire faits auprès de cette dernière par François Vallée, Louise Riou deviendra près de 80 ans plus tard l’une des informatrices majeures d’un autre grand collecteur des traditions orales du Trégor, Ifig Troadeg. Ce dernier effectue dans les années 1980 une des collectes les plus importantes dans cette région et fonde l’antenne de Dastum pour le Trégor, « Dastum Bro Dreger ». Le rapprochement entre le répertoire de Louise Riou et celui de Marc’harit Fulup montre la force et la persistance dont la tradition orale est capable, malgré les conditions défavorables de ce 20ème siècle. 
Cette longue chanson (48 couplets pour près de dix minutes) est loin d’être une exception dans le répertoire de langue bretonne. Il s’agit d’une gwerz, genre équivalent à la complainte dans le domaine francophone, et très fréquente en Basse-Bretagne. Celle-ci évoque l’histoire d’une jeune fille condamnée pour des faits de sorcellerie. Elle est attestée par au moins une vingtaine de versions dans les archives sonores de Dastum.

Louise Riou, Pluzunet (22) – Chant – 1980 (coll. Ifig Troadeg)

Janedig Koant - Louise Riou, Pluzunet (22)

Depuis 1972, Dastum (« recueillir » en breton), association à but non lucratif, s’est donné pour mission le collectage, la sauvegarde et la diffusion du patrimoine oral de l’ensemble de la Bretagne historique : chansons, musiques, contes, légendes, histoires, proverbes, dictons, récits, témoignages…