Avec Musiques utopiques, c’est une autre grille de construction qui est à l’œuvre pour un grand final en forme de transe. Les quatre-vingt sons sont retravaillés, dilatés ou contractés, pour devenir autant d’échantillons de quatre secondes chaque. Tous sont mis en boucles au moins six fois, se succédant dans l’ordre chronologique des pièces dont ils sont issus et se superposant sur deux à douze couches simultanées.
« Ma première expérience concrète remonte à mes dix-sept ans. J’avais à ce moment-là une importante activité de percussionniste de concert. J’ai toujours aimé appréhender les objets. Toucher, taper, frapper, effleurer. J’étais attentif au geste, à l’impact nécessaire. […] Alors j’ai décidé de devenir compositeur. Avec des sons différents. Être inventeur de sons ! Il y a eu autre chose. Il y a eu mes rêves. Je rêvais beaucoup. Cela fertilisait mon imagination. Après, j’entendais dans ma tête des sons sans rapport avec une éducation musicale. Des sons qui m’effrayaient parfois. Je m’en souviens encore : ce sont les mêmes sonorités les mêmes alliages, les mêmes mouvances, les mêmes complexités que je cherche aujourd’hui à recréer. Ces sons ont fait de moi le compositeur que je suis. Mais je ne le savais pas encore. Je n’avais pas encore fait la découverte de l’enregistrement. Je n’avais pas encore rencontré Pierre Schaeffer. »

03. Musiques utopiques (Snippet)

Jardins de sons est élaboré de façon très rigoureuse, comme un jardin à la française où, sur douze “platebandes” sonores quasi statiques et bien délimitées, sont alignées, équidistantes, les plantes-sons. À une succession de douze continuums distincts de deux minutes chacun – textures obtenues par élongation, multiplication, entrelacement d’un son différent à chacune des douze trames –, et après 80” d’introduction (supprimée dans cette version discographique), se superposent, toutes les seize secondes exactement, les quatre-vingt objets sonores laissés “nature”, transplantés sans transformation.
« Surtout faire grandir les sons. Les réduire aussi. Les amenuiser. Les grossir. Le grossissement est un procédé couramment employé. Mais resserrer le grain produit à l’inverse des matières lisses et installe une nervosité. En fait, toute la musique concrète peut s’expliquer par deux images : l’agrandissement photographique et le geyser ! Un son peut donner naissance à des milliers d’autres sons, par auto-génération. Mais ces milliers de sons, il faut les punaiser, les coller, c’est-à-dire les écrire, les insérer dans une continuité plus abstraite, où le contrepoint et la variation jouent un rôle essentiel. On ne parle pas assez de la variation. Pourtant, la musique concrète 
s’appuie généralement sur la possibilité de faire évoluer le son par microéléments successifs, comme chez Beethoven. Nos instruments doivent obéir à notre main. J’aime filer un son, le tenir, le prolonger, le faire balancer, le maintenir dans sa course. J’ai horreur du presse-bouton. J’ai besoin de toucher. C’est ainsi que je module mes sources sonores : en devenant l’instrumentiste d’instruments qui n’existent pas. »

02. Jardins de sons (Snippet)

Machinerie romantique, composé avec quarante et un sons provenant de quinze des œuvres de Pierre Henry, met l’accent sur la voix – cri, chant ou souffle.
« Tout ce que je sais, tout ce que je vois, tout ce que j’écoute, je le choisis et le structure comme un temps de sons. Trame qui serait un lien entre le passé et le futur. De ces trajectoires je fais de la musique. J’aime rester immobile, sentir que j’existe dans une temporalité d’attente. Micro-suspenses de bruits, de battements, de durées. J’ai perçu les durées de façon musicale dès mon enfance. Temps plats, désagréables, d’autres riches et exaltants. J’étais souvent seul. Solitude qui m’a fait percevoir et analyser toutes les minutes.
Ces moments forts, ces moments faibles créaient une dynamique d’accents qui m’est restée. […]
Je poussais des cris. Toutes sortes de cris : doux, violents, déchirants, terrifiants. Le cri, c’est la grimace du son. Je chantais fort peu. Mais en revanche je produisais beaucoup de bruits de bouche, chuintements, sifflements, grincements. Sons organiques, modulés, libérateurs, éclatants, distordus que l’on retrouve un peu partout dans ma musique. J’aimais courir aussi : courir est un cri qui se poursuit. »

01. Machinerie romantique (Snippet)

Live, , Kaohsiung  City Music Hall
Taiwan 2014
Vianne Lin (flûte, piccolo)
Chung-Lin Lee (flûte piccolo) 
Shao-Wei Chou (flûte alto)
Yu-Tai Cheng (flûte basse)
*création mondiale

Denis Dufour: Fluorescence

DENIS DUFOUR
‘Musiques utopiques’  [3e mouvement de PH 27-80] 32'14
Dédié à Pierre Henry

Denis Dufour a conçu PH 27-80 en 2007 pour rendre hommage à Pierre Henry [né le 9 décembre 1927] à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire. Son défi : réaliser un long métrage sonore exclusivement à partir de 80 sons ou séquences brèves prélevées dans 27 des œuvres du pionnier de la musique concrète. Armé de son incontestable maîtrise des articulations, des structures et des formes, restant paradoxalement fidèle à son style propre fait de d'apparente liberté et d'une rigueur qu'on pourrait qualifier de spirituelle, Denis Dufour s'est immergé dans l'univers sonore si personnel de Pierre Henry, offrant à l’auditeur une sorte de prolongement à la fois onirique et précis dans un incroyable travail de réorganisation qui concilie l’inventivité, la musicalité et en transmet comme une image puissante et subtile. 

‘Musiques utopiques’ (32'14) en est le troisième mouvement, grand final figurant une sorte de transe. Pour Denis Dufour, créer un univers sonore singulier et invisible, c'est offrir une odyssée dans une utopie organisée improbable, imprévue, évidente pourtant. Ambition un peu négligée aujourd'hui que de se consacrer à cette offrande, que de construire une musique qui ignore le terrible formatage marchand, renonce au confort trop éventé des saveurs connues, déconcerte les conditionnements et les attentes tout en stimulant des envies nouvelles. Sensible, mesuré, un peu fou, il joue des morphologies plus que des formules, dans un paradigme qui nous libère de toute démagogie esthétique, un plan spirituel et esthétique qui agite et remue, et transforme inconsciemment notre perception du monde, du plus loin de l'enfance. [Thomas Brando]



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Denis Dufour • ‘PH 27-80’ [2008] 80’27
Dédié à Pierre Henry
Réalisation sur ordinateur au studio du compositeur à Paris 19e
Les échantillons extraits des œuvres de Pierre Henry ont été sélectionnés par Agnès Poisson.
Création :	
- mouvement 1, Paris le 14 juin 2008, Grand Palais, lors de Monumenta consacré à Richard Serra, par Jonathan Prager sur acousmonium Motus
- intégrale, Crest le 21 août 2008, salle Moulinage de l'Espace Soubeyran, lors du festival Futura par Jonathan Prager sur acousmonium Motus
Merci à Pierre Henry et à Son-Ré pour leur autorisation

1. Machinerie romantique	24'00
2. Jardins de sons	24'00
3. Musiques utopiques	32'14

Dans ‘Musiques utopiques’ les 80 sons sont retravaillés, dilatés ou  contractés, pour devenir autant d'échantillons de 4 secondes chaque. Tous sont mis en boucles au moins six fois, se succédant dans l'ordre chronologique des pièces dont ils sont issus et se superposant sur deux à douze couches simultanées.

Denis Dufour's Scores published by Maison ONA : https://www.maison-ona.com/catalog-composer-Dufour

Denis Dufour : PH 27-80 · Musiques Utopiques

Denis Dufour (b. 9 October 1953, Lyons), after studying the classics at the CRR in Lyons and the Paris Conservatoire (particularly with Pierre Schaeffer and Ivo Malec), he is recognized as a composer in the field of instrumental as well as electronic creation for concert[5] with more than a 160 works to his credit.[6] As one of the pioneers of the 'morphological' and expressive approach to sonic writing, his works employ a wide spectrum of parameters in all sonic dimensions.[7] Following Pierre Schaeffer and Pierre Henry, he contributed to the emergence of a genre that decisively connects artists and musicians.[8] The exploration of new structures of sound, the fluidity of a 'Baroque' style of phrasing, the mobility of his figures, and his love of the human voice and of certain dramatic narrative effects have fostered the emergence of a new kind of theatrical sound in his work, over and beyond his strictly musical discourse.[9]

Despite his large compositional output, from the late 1970s, he has been a teacher (at the Paris Boulogne-Billancourt (PSPBB) higher arts education centre,[10] the Regional Conservatories of Paris,[11] Perpignan,[12] Lyons), researcher (including Groupe de Recherches Musicales until 2000),[13] lecturer, and a host for several courses, workshops and masterclasses in France and abroad (particularly in Japan[14] and Italy[15]).

A tireless leader and advocate, with Jonathan Prager, of an approach to interpretation and spatialization on an acousmonium (system of sound spatialization – a loudspeaker orchestra) with sensitivity and accuracy as opposed to the rigidity of pre programmed multiphonics.[16] Founder and initiator of the TM + ensemble, his work Ourlé du lac à la première goutte de pluie (Pli de Perversion 2) performed at the ICMC in 1984 – is the first to use Syter,[17][18] one of the first real-time digital processing devices. Dufour was instrumental in identifying the need for space to check the parametres quickly and accurately. It was this observation that led to the development of the interpolations screen, which can memorise the status of all the system's parametres (a "snapshot", as we would now call it), and enables the user to move very quickly from one configuration to another by jumps or interpolations (gradual evolution).[19][20] He also contributed significantly to the realization of the Acousmographe, a software for graphical representation of sound phenomena, produced by Institut national de l'audiovisuel.

An organizer and artistic director of several events dedicated to contemporary creation (the series Acore in Lyons, Syntax in Perpignan, Musiques à Réaction in Paris, Futura Festival in Drôme), he also founded several structures, collectives and instrumental formations that continue to irrigate the musical life in France and abroad (Motus, Futura, Syntax, TM+, Les Temps modernes…). Through the exchange of experiences between artists of various fixed medium disciplines (musicians, visual artists, photographers...) he welcomed a trans-disciplinary public seen at the Futura Festival[21] in Drôme every summer since 1993. Since the early 2000s (decade), Dufour actively participated in the encouragement and development of acousmatic art in Japan.[22]

Through Motus in 1996, he initiated two of the most important acousmoniums performing regularly in France and in Europe.[23] Several annual interventions, particularly the invitation to the Palais de Tokyo[24] have contributed to the reputation of Motus in the world of contemporary art.

Recognizing the need to broaden the scope of a type of creation made in a studio, fixed on a medium and delivered for listening on loudspeakers, he combined the various genres into what he calls acousmatic art,[25] which offers an open definition (translated into several languages) and which is beyond mere musical terrain. In his hands, acousmatic art came to being a fertile musical genre, which, consciously or not, influenced a number of musicians and artists.[26] Very aware of promoting cross-practice, he is involved in multiple partnerships in the visual arts[27] (Galerie Lydie Rekow at Crest High School Art Perpignan, initial three years residence in the centre of contemporary art at the Domaine de Kerguéhennec, collaboration with visual artist Jaume Xifra[28] and with Richard Serra in Monumenta 2008.[29]

A composer of a variety of instrumental, vocal or acousmatic works[30] he has always been deeply involved in the transgression of genres, plunging his experiences in the field of dance, video, mixed works (combining instrument and fixed audio media), the musical theatre, radio art – Hörspiel, installations and sound environments. A large number of his works use texts for which he collaborated with Michel Vincent, Jean-Christophe Thomas, Dominique Dubreuil, Marc Jaffeux and especially Thomas Brando with whom he has worked very closely on several compositions. [courtesy: Wikipedia]

Denis Dufour : PH 27-80 · Musiques Utopiques

Opus 53

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